Lettre ouverte d’un jeune lorrain à Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République

Publié le par Yoan HADADI


Monsieur le Président de la République,

Je prends la plume afin de vous faire part de mon incompréhension et de mon désarroi suite à l’annonce de fermeture de plusieurs sites militaires en Lorraine. A l’heure où l’ensemble de la population et où tous les élus, de droite, du centre et de gauche se mobilisent et font entendre leurs voix face aux choix du gouvernement, il m’apparait important de prendre la parole à mon tour, en tant que jeune étudiant lorrain. Je crois être représentatif de très nombreux jeunes, en vous disant que nous avons le sentiment amère de voir notre région systématiquement lésée, invariablement écartée des projets gouvernementaux (je pense à la non-sélection de la Lorraine au projet « opération campus » alors que le dossier méritait un tout autre sort) et réduite à tenter de s’en sortir seule. Après la perte de la sidérurgie et les fermetures à répétition des usines, nous voilà à nouveau pris pour cible. Il ne nous restait, quasiment, plus que l’armée et on nous l’enlève. En tant que jeune lorrain, je suis consterné et je ne comprends pas ce qui pousse le gouvernement à un tel acharnement. Au-delà du fait que certaines fermetures, notamment celle de la B-A 128 de Metz-Frescaty, relèvent d’une analyse peu judicieuse, il en va de la survie d’un territoire. Certes, le rôle de l’armée n’est pas de permettre l’aménagement d’un territoire, mais lorsqu’il n’y a pas d’autres réponses apportées par l’Etat, il faut bien trouver les compensations que l’on peut. Savez-vous, monsieur le Président, l’impression qu’ont les jeunes en Lorraine ? Et bien, ils pensent, trop souvent que leurs futur ne s’inscrit pas sur cette terre. Ils pensent à partir vers Paris, vers l’étranger. Les collectivités locales se battent chaque jour face à cela, faisant preuve d’ingéniosité pour garder la jeunesse en Lorraine et vous abattez ce travail par une décision arbitraire, injuste et éloignée du bon sens. L’agglomération messine va perdre près de 10% de sa population, beaucoup de commerces vont fermer, de nombreux emplois vont être perdus, comment allez-vous réparer cela ? Metz n’a pas connu un départ aussi massif de sa population depuis 1870 et l’annexion allemande. Les jeunes attendent de voir qu’elles seront les fameuses « compensations » dont on parle tant, mais sachez, monsieur le Président, qu’ils seront vigilants et qu’ils attendent de l’avenir bien plus que les paroles prononcées le 2 septembre à l’Elysée. Je suis triste, monsieur le Président, de voir ma si belle terre de Lorraine injustement brulée. Je suis triste de voir que toutes les promesses faites à la Lorraine n’engagent que ceux qui y croient. Je suis triste en tant que jeune lorrain, je suis triste en tant que jeune français.

HADADI Yoan, 22 ans
Vice-président étudiant de l’Université Paul Verlaine de Metz.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
T
Ma dérive sociale a débuté en 1992, quand mon père a accepté sa mutation vers Bitche, une ville de garnison comptant cinq mille habitants, dont un tiers de militaires. La mégalopole la plus proche<br /> est Sarreguemines. Je ne connaissais pas non plus, pour tout dire. J’avais douze ans quand nous nous sommes installés dans ce trou à rats. Chaque matin, je pleure dans mes céréales, puis je me<br /> rends au lycée à bord d’un bus aux couleurs de l’Armée de Terre, en compagnie de mes camarades déportés. Notre chauffeur porte un treillis et des rangers. Certains d’entre-nous trimballent une<br /> besace règlementaire, kaki, en guise de cartable. J’ai entendu dire que le fils du chef de corps se nourrissait tous les midis d’une boite de ration, pour se donner un genre, alors qu’il est<br /> inscrit à la cantine comme tout le monde. Je guide Emilie à travers le quartier militaire. Je lui avoue que mon père n’est qu’adjudant-chef, ce qui explique pourquoi nous habitons une maison<br /> minuscule, semblable à toutes les maisons minuscules posées les unes à côté des autres, dans la rue des sous-officiers. Par souci de contraste, nous traversons le quartier des officiers, ses<br /> baraques à trois étages, son école maternelle, son cours de tennis et son terrain de jeux. Une Laguna conduite par un autre type en tenue dépose un haut-gradé devant le pas de sa porte. Peut-être<br /> un colonel, je ne suis pas au point sur les grades. Je crois aux grades à peu près autant qu’aux chaises. Emilie me demande si j’envisage d’entrer dans l’armée moi aussi. Je lui réponds que<br /> j’hésite entre ça et me faire amputer des pouces. Elle se marre et vous savez ce qu’on dit à propos des femmes qui rient, sauf que c’est de la propagande. D’ailleurs nous sommes déjà loin de ma<br /> chambre. Nous coupons par la voie ferrée en prenant garde de ne pas nous faire écraser par le train hebdomadaire qui circule à travers Bitche, sans s’y arrêter d’ailleurs, profitant simplement de<br /> l’aubaine pour vidanger ses toilettes chimiques.<br /> <br /> Ce raccourci nous conduit à l’arrière du Maxi Coop. Quelques rues plus loin, la mairie se dresse sur la place du même nom, dominant un centre des affaires constitué d’un cristallier, d’un<br /> photomaton, d’une banque populaire, d’un bureau de tabac et d’un café-PMU-maison-des-jeunes sobrement baptisé « La Lorraine ». Nous ne croisons personne. On pourrait aussi bien faire l’amour au<br /> pied du monument aux morts, au beau milieu de la place, sans être remarqués par qui que ce soit. C’est un exemple. Elle porte un bonnet en laine, avec des grosses mailles vertes et jaunes, qui lui<br /> va parfaitement, même si je n’ai aucune idée de ce que j’entends par là. Je commence à m’habituer à son nez. J’aimerais croiser quelqu’un du bahut, qui puisse signer quelque part que je me<br /> promenais bien avec une fille, le 16 avril 1996 : une petite brune, sympa ouais, un peu trop de sourcil. Ils se parlaient pas mais elle laissait trainer sa main vers la sienne et il faisait<br /> semblant de ne rien remarquer. Peut-être qu’on devrait prendre ce type dans l’équipe des rouges, la semaine prochaine. Mais à part l’écho lointain d’une escouade de mobylettes, rien ne trouble la<br /> morosité légendaire de notre bonne vieille ville fleurie.<br /> <br /> Je ne suis pas un habitué de « La Lorraine ». Je ne fréquente pas les bistrots car je suis encore trop jeune pour boire seul à une table, avec un roman de Milan Kundera. J’ignore donc ce que nous<br /> allons trouver derrière la porte de cet établissement mais je sais d’expérience que mes camarades de classe s’y ruent tous les vendredis après les cours, en attendant que leurs bus de ramassage<br /> scolaire ne les ramènent dans leurs villages toujours plus paumés, s’étalant de chaque côté d’une route départementale. Je rentre en premier, au cas où les chaises voleraient dans le PMU de la<br /> dernière chance, que j’imagine rempli de Kevin et de Mike qui se mettent sur la gueule pour une sombre histoire de score aux fléchettes. Toutes les tables sont libres. Il n’y a personne derrière le<br /> bar. Rien ne pourrait contredire l’hypothèse selon laquelle un virus foudroyant aurait balayé l’humanité entre dix-sept et dix-huit heures, laissant à Emilie et mon membre actif le soin de<br /> repeupler l’est de la France. Je dois vraiment essayer de penser à autre chose, cela dit. Nous nous installons à côté d’un jukebox massif qui aurait fait sensation dans une soirée new-yorkaise,<br /> sous Jimmy Carter. Je fouille mes poches à la recherche d’un peu de monnaie pour faire péter l’ambiance.<br /> <br /> - T’as une suggestion ?<br /> - Y’a un morceau des Smashing Pumpkins ?<br /> - Non mais on dirait qu’ils ont l’intégrale de Texas et des Cranberries.<br /> - Du Rage Against the Machine ?<br /> <br /> Je trouve ça adorable qu’elle ait une pensée pour mes t-shirts et veuille me signifier par cette allusion très claire que nous pourrions un jour avoir une chanson à nous, un truc de couple, genre «<br /> on s’est embrassés la première fois sur la musique de Bodyguard, c’était trop romantique ». Surtout que du Rage, j’en trouve, un titre intitulé Bombtrack que je lance en secouant la tête, je sais<br /> plus dans quel navet j’ai vu ça. Nous avons toujours aussi peu à nous dire, assis l’un en face de l’autre, séparés par une table en formica, nos yeux rivés sur les murs, comme si les publicités<br /> pour le loto sportif nous avaient passionné depuis toujours, noyés dans le torrent de décibels qui se déverse maintenant du jukebox. Le chant possédé de Jack de La Rocha semble exprimer tout ce que<br /> nous pourrions ressentir, éventuellement, d’autant mieux que nous ne comprenons rien à ce qu’il raconte.<br /> <br /> - Tu voudras boire quoi si jamais un serveur se pointe ? je lui demande, assez gentleman farmer.<br /> - Un Monaco, et toi ?<br /> - Pareil, un Monaco. Je commande toujours ça, c’est marrant.<br /> - C’est trop bon.<br /> - Mais carrément.<br /> <br /> Je connais la ville de Monaco, dont je plains également les habitants, mais je n’ai aucune idée de ce que ça peut donner dans un verre. Si Emilie m’annonçait qu’elle envisage de partir vivre à<br /> Katmandou, après son bac, pour planter des oliviers à trois branches, je lui répondrai sur le même ton : « Mais moi aussi, pareil, c’est marrant ». Toutes ces années à me forger une personnalité,<br /> en méditant seul dans ma chambre, n’auront finalement servi à rien. Dix minutes plus tard, nous sommes toujours « sur la béquille », comme dirait mon père, ce qui signifie que nous n’avons rien à<br /> boire. Je ne pige pas cette expression. Je ne pige pas le quart de ce que mon père raconte.<br /> <br /> - Peut-être qu’on devrait se servir nous même, propose Emilie.<br /> - Je ne pense pas que ce soit un self-service, je réponds, dans un anglais sans accent.<br /> <br /> Pour une raison inconnue, le jukebox a enchainé sur une chanson de Joe Dassin, probablement destinée à faire fuir les rodeurs lorsque le bar est laissé sans surveillance. Je me demande si je dois<br /> effectivement me lever et m’aventurer derrière le comptoir, à la recherche de la bouteille de Monaco, que je ne trouverai sans doute pas. Je ne trouve jamais rien. Je tergiverse une dizaine de<br /> minutes avant qu’une trappe se lève, au fond de la salle, et qu’en sorte un authentique troll du pays, portant un rat sur son épaule. Le garçon doit avoir le même âge que nous, c’est un membre<br /> actif qui vit sous terre, un choix que je ne conteste pas à priori, mais malgré tout, je suis assez décontenancé quand je le vois s’approcher de notre table sans un mot, avec sa gueule troglodyte.<br /> Il est court sur pattes, avec de gros avant-bras d’étrangleur de porc itinérant. Je me demande à toute vitesse quelles sont ses intentions et je voudrais que Joe Dassin se taise à jamais.<br /> L’ambiance est déjà assez glauque comme ça. Il est tout près maintenant, il porte un pantalon de chasseur, des rangers aux lacets multicolores, un t-shirt sur lequel est imprimé une grande feuille<br /> de cannabis, et toujours ce fichu rat sur son épaule. Comme s’il nous attendait depuis toujours, il se penche d’abord vers Emilie et lui fais la bise, elle ne bronche pas, puis c’est mon tour<br /> d’être gratifié de cette marque de courtoisie. J’ai déjà précisé que je connais mal les mœurs des bistrots de France, mais je doute qu’il s’agisse de la procédure règlementaire.<br /> <br /> - C’est qui, lui ? demande-t-il à ma partenaire sexuelle potentielle.<br /> - Juste un pote.<br /> <br /> Elle parle peu mais sait choisir ses mots pour vous castrer sans anesthésie. Ces deux là semblent donc se connaitre, c’est parfait : faites comme si j’étais pas là, prenez deux tickets pour<br /> Katmandou, vous inquiétez pas ! Je vous rejoindrai plus tard.
Répondre
A
The last Carla'a song : "No future for the Bitche Boys"
Répondre